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Ça y est, la loi santé de Marisol Touraine a été votée en première lecture.

Après des semaines de battage médiatique autour de cette loi, que propose-t-elle en fait ?

Trois grands chapitres, prévenir avant d’avoir à guérir, faciliter la santé au quotidien, consolider l’excellence du système.

Prévenir avant d’avoir à guérir :

  1. désignation d’un médecin traitant pour les enfants alors qu’il n’y a pratiquement plus aucun pédiatre en dehors des hôpitaux,
  2. améliorer l’information nutritionnelle alors que les plus démunis ont toutes les peines du monde à se nourrir tout simplement,
  3. prévenir l’ivresse chez les jeunes
  4. lutter contre le tabagisme
  5. favoriser les stratégies de prévention innovantes :

C’est faire faire aux jeunes eux-mêmes des tests pour les maladies sexuellement transmissibles et instituer des salles de shoot pour les drogués. On imagine la réaction psychologique d’une personne qui se découvre porteuse du SIDA. Aujourd’hui, même le laboratoire n’a pas le droit de délivrer directement l’information pour que la révélation soit réellement accompagnée, médicalement et psychologiquement.

Au lieu de s’attaquer réellement au problème de la drogue, on va instituer des « salles de shoot » pour que les drogués puissent s’y droguer « proprement ». Où est la stratégie innovante ?

  1. Créer un institut de prévention, de veille et d’intervention en santé publique

Par la fusion des organismes d’éducation à la santé, de veille et de sécurité sanitaire et de réponse aux urgences sanitaires en un seul institut qui sera sensé tout faire. Il servira surtout probablement à mettre à la porte un maximum d’intervenants. Ça fera des économies mais pour la santé ?

En annexe, promouvoir la santé en milieu scolaire (avec des infirmières en plus ???), soutenir le services de santé au travail (pas de médecine du travail, nuance, et sans spécialiste de médecine du travail, d’ailleurs il y en a de moins en moins), et puis qualité de l’air, amiante, plomb dans les habitations et « actions d’accompagnement des patients ».

Globalement donc, une vision de la santé comme une affaire purement comptable et administrative, sans médecin si possible, ni dans la prévention, ni dans le dépistage, ni dans la protection sociale au travail.

Pour faciliter la santé au quotidien :

  1. généralisation du tiers payant. J’y reviendrai plus loin car c’est la mesure essentielle.
  2. extension du bénéfice des tarifs sociaux pour les lunettes, les prothèses auditives et les soins dentaires. Il est bien temps d’y penser effectivement.
  3. création d’un numéro d’appel national, en plus du 15 pour trouver un médecin de garde s’il n’y en a pas ( ?), alors que la question c’est le manque de médecins suite au numerus clausus, les « déserts médicaux » du fait de l’absence d’organisation du service de santé.
  4. un service public d’information en santé, en fait un annuaire avec GPS pour trouver un acteur de santé.
  5. permettre les « class actions » en santé, aggravant le côté médico-légal des relations patients-soignants sur le mode états-unien où des avocats attendent les patients à la sortie des cliniques pour leur proposer de demander des dommages et intérêts.

Suit une série de mesurettes pour lutter contre le refus de soins (sic), l’accès au dossier médical d’une personne décédée pour le concubin pacsé, informer sur le coût des soins d’hospitalisation et rendre obligatoire la représentation des usagers ici ou là. Rien de nouveau donc

Innover pour consolider l’excellence de notre système de santé :

  1. refonder le service public hospitalier. Mais pas un mot sur la nécessaire augmentation des moyens en personnel, en matériel, en budget même pas pour éviter que les hôpitaux publics ne soient obligés d’emprunter pour fonctionner.
  2. Créer le service territorial de santé au public qui « s’adaptera aux réalités de chaque territoire », « les ARS disposeront des moyens juridiques et financiers pour l’organiser », particulièrement sur la base d’ « contrats d’objectifs et de moyens ». C’est le retour du Dossier Médical Partagé, à la charge de l’Assurance Maladie, mais auquel tout le monde aura en fait accès.
  3. moderniser les pratiques et les professions de santé : ça consiste à faire des infirmiers des médecins au rabais, à faire pratiquer les vaccinations par les pharmaciens, prescrire les substituts nicotiniques par les sages-femmes et les infirmiers, et faire faire les IVG par les sages-femmes dont le métier est d’aider à la mise au monde des enfants…
  4. améliorer l’accès aux données de santé : la loi appelle cela « open data », c’est à dire données ouvertes à tous, en provenance des hôpitaux, des cliniques, de l’assurance maladie, de INSEE. On imagine l’intérêt surtout pour l’industrie du médicament et des fournitures de santé, beaucoup moins pour les patients et leurs soignants qui ont leur dossier régulièrement mis à jour à chaque consultation

Enfin dans les mesurettes : guides de bonnes pratiques et listes préférentielles de médicaments pour les professionnels, et puis surtout repenser la relation entre l’État et l ‘Assurance Maladie, renforcer l’animation territoriale par les ARS, etc…

Globalement donc un fatras de mesures et mesurettes dont il faut chercher à déterminer la logique. Et la logique, c’est la lutte acharnée contre le pouvoir, exorbitant aux yeux d’une société tout entière dédiée à la rentabilisation du capital et au maintien coûte que coûte de son taux de profit, de cette catégorie d’intervenants sociaux que sont les médecins : en effet ils sont de fait les ordonnateurs de la dépense en matière de santé. (cf H. Solans : l’implication des actes médicaux dans le processus économique. In Cahiers de l’université n°22 - Perpignan 1996)

La dernière des mesurettes citée est significative : produire un guide des bonnes pratiques en matière de soins, c’est imposer au médecin des procédures et des procédés standardisés, et une liste préférentielle de certains médicaments, c’est en imposer la prescription au détriment d’autres. Et le renforcement du flicage par les ARS en est le pendant.

Les médecins qui se sont indignés et mobilisés contre ces mesures l’ont fait pour préserver ce qui reste essentiel dans la prise en charge d’un patient. Quel que soit son problème de santé, c’est un individu avec une histoire personnelle, une histoire familiale, des antécédents génétiques, pathologiques, accidentels, des conditions d’environnement social, familial, professionnel. Quel que soit son symptôme allégué (ce pourquoi il vient consulter) il faudra tenir compte de tout le reste pour le décoder. Et c’est au médecin qui le reçoit, qui l’écoute, qui l’examine, qui lui prescrit des examens complémentaires, qu’il reviendra de faire la synthèse et d’aboutir au syndrome objectif, au diagnostic à partir duquel il prescrira le traitement. (cf : C-E Tourné : Naissance et société. La relation soignant patient à l’épreuve du marché. PUP Perpignan 2001 )

Et soigner une pathologie cardiaque ou un panaris au gros orteil devra se faire avec la même rigueur. Car le panaris peut être un mélanome au début.

Mais en même temps, le médecin devra apprécier l’état psychologique du patient, sa fragilité, sa fatigue, ses problèmes dans la vie, au travail, en famille…

Quel procédé, quelle procédure standardisés répondront à ces exigences ?

Et tout les reste est à l’avenant : la prévention de l’alcoolisme, du tabagisme, des maladies sexuellement transmissibles s’adressent tout autant à des maux sociaux qu’aux acteurs qui y succombent. Peut-on raisonnablement pour les dépistages, les vaccinations, les mesures prophylactiques s’aligner sur les procédures vétérinaires ? Le SIDA est au moins aussi gênant pour le corps social que la maladie de la vache folle : va-t-on gérer la choses de la même façon ?

La contraception, la contragestion, l’IVG doivent évidemment être mis en œuvre rapidement et efficacement. Mais leurs implications en matière de santé PERSONNELLE peuvent-elles être sacrifiées à l’efficacité comptable ? Et l’infirmière qui donne la pilule du lendemain, la sage-femme qui prescrit l’IVG médicamenteuse, l’infirmier qui prescrit des dérivés nicotiniques ou le responsable d’une « salle de shoot » pourront-ils apporter le complément de soin, faire le suivi, et éventuellement répondre d’une conséquence fâcheuse de leur prescription sur un patient qu’ils n’auront pas pu apprécier dans toutes ses fragilités ? Chacun de ces soignants a une spécificité de formation et d’action, mais seul le médecin a la compétence pour une vision globale du patient et l’obligation de tester les risques d’un traitement.

En prime, on va mettre tout cela sur un dossier médical partagé, ouvert à tous les vents, aux professionnels de santé, bien sûr, mais aux assureurs, aux employeurs, aux publicitaires, aux marchands de toute sorte.

Et l’ensemble sera organisé par l’ARS qui aura les moyens juridiques et financiers pour définir les contrats d’objectifs et de moyens .

Pourquoi en rajouter alors que ces moyens de contrôle existent déjà : la notion de « bonnes pratiques », celle de « pratiques conformes aux données actuelles de la science » sont la base de contrôle de la qualité des actes médicaux. Les « profils » statistiques sont établis trimestriellement pour contrôler le volume des actes, des prescriptions de soins, de médicaments, d’examens complémentaires, d’arrêts de travail, pour chaque professionnel de santé. Et des rappels à l’ordre voire des sanctions sont prévus en cas de manquement.

La liste des médicaments prescriptibles se réduit comme peau de chagrin d’année en année par le biais du déremboursement. Les médicaments génériques sont imposés comme alternative alors que leur dosage, leur composition ne sont pas identiques à ceux qu’ils remplacent.

Si nouvelle loi en rajoute, c’est que le fin du fin de cette loi, son but réel, est de disposer d’un moyen ultime de pression sur la profession médicale : le tiers payant généralisé.

Bien sûr il est présenté comme le nec plus ultra de « l’accès aux soins » dans le cadre de l’ « amélioration de la santé au quotidien ».

Mais le tiers payant existe déjà. Pour les titulaires de la CMU, de l’ACS ou de l’aide médicale d’état. Mais aussi pour tous les assurés sociaux que le médecin peut « dispenser d’avance » sur la feuille de soins, à charge pour l’assurance-maladie de le payer directement.

Le tiers-payant généralisé, c’est le cordon de la bourse dans la main de l’État. C’est la reprise en main de la manne financière que représente la prise en charge des soins par l’assurance maladie.

Globalement c’est la possibilité pour la puissance publique de retarder plus ou moins les sorties d’argent. Le budget de la Sécurité Sociale porte sur des sommes considérables (370 milliards de recettes en 2010 dont 316 pour le régime général). Les prestations nettes de l’assurance maladie sont de 142 milliards dont la moitié pour les soins de ville soit 70 milliards par an. Cela représente un peu plus de 190 millions par jour. 5 jours de retard de paiement c’est 1 milliard d’euros. C’est autant que l’on peut prêter aux banques sans justification.

Concernant chaque praticien, c’est la possibilité de le prendre à la gorge financièrement dès l’instant qu’il ne remplit pas « les contrats d’objectifs et de moyens » définis par les ARS qui auront les outils « juridiques et financiers » et cela localement dans le cadre des territoires. Gare à lui s’il ne prescrit pas les médicaments recommandés, s’il ne suit pas les procédés et les procédures standardisés, c’est-à-dire s’il donne des soins à son patient en fonction de ce qu’il présente comme problème, voire, encore pire, s’il a la volonté d’en prendre soin.

Le tiers payant généralisé vient en complément du médecin traitant obligatoire institué il y a quelques années. Les deux ensemble ramènent à la situation du service de santé britannique. Chaque médecin a une liste de patients à soigner. Il le fait, le plus rapidement possible, sur une partie de la journée. Le reste du temps il reçoit les patients qui peuvent payer et leur consacre le temps nécessaire. Gageons que si la loi est appliquée, de nouvelles « mutuelles » très chères verront le jour qui prendront en charge les soins de ville dans une médecine à deux vitesses telle que celle qui sévit en Grande Bretagne.

Au total, quelques rares avancées comme la réduction du délai de réflexion pour l’IVG, les tarifs « sociaux » pour les dents, les lunettes et les prothèses auditives ; beaucoup de baratin, quelques mesurettes pour flatter l’ego des professions paramédicales, mais aucune avancée réelle dans les moyens des hôpitaux, des centres de santé, des services de santé scolaire, de médecine du travail, des urgences hospitalières.

Mais surtout, par le biais du renforcement du pouvoir des ARS, de la territorialisation de l’organisation de la santé publique, par l’instauration du tiers payant généralisé, la loi installe une mise sous tutelle définitive du corps médical pour le plier aux exigences de la rentabilisation du capital.

Dernières nouvelles en marge de la loi Touraine : à peine la loi votée, la direction du Trésor illustre ce que veut dire repenser la relation entre l’État et l ‘Assurance Maladie en demandant de changer la prise en charge des Affections de Longue Durée parce que ça coûte trop cher.

La pilule du lendemain en vente au supermarché 3 fois plus chère qu’en pharmacie. Le fric contre la santé, une caricature. Ça promet.

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