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visa de censure n°000003

Suis-je malade ? La révélation du fait qu’un clone cellulaire pathologique s’est autonomisé et pousse dans ma vessie fait-elle de moi un malade ?

Nous avons discuté de cette question ce matin avec Simone et du coup, il me semble qu’elle vaut la peine d’être posée globalement dans une réflexion psychosomatique.

Qu’est-ce qu’une maladie ? Qu’est-ce qu’un malade ?

La maladie c’est l’état de quelqu’un qui est malade, le malade c’est quelqu’un qui souffre d’une maladie.  C’est Larousse qui dit cela. Le chat qui se mord la queue.

Heureusement l’étymologie est plus éclairante. Malade vient de male habitus : mauvais état.

Peut-on dire d’une personne qui vient de se découvrir une petite tumeur de vessie qu’il est en mauvais état ? Si, par ailleurs, l’ensemble de ses fonctions vitales n’est pas altéré, alors il n’est pas en mauvais état. Il n’est pas malade. Et comme le substantif maladie dérive de l’adjectif malade, on ne peut pas qualifier de maladie le processus malin qui se développe à l’insu de tous. L’ OTYS fonctionne parfaitement, les organes sont silencieux, aucun signal n’en provient signalant qu’une partie a des difficultés d’adaptation. Les systèmes automatiques de régulation fonctionnent bien, à la satisfaction de chacune des parties. Nous avons à faire avec un OTyS (Organisme Total Psycho-Somatique) en bonne santé.

Qu’est-ce que la santé ? Toujours Mr Larousse dit que c’est l’état de bon fonctionnement de l’organisme. Ça vient du latin sanitas, dérivé de sanus qui veut dire sain. Et sain : qui ne présente aucune atteinte pathologique. Avec ça, on est bien avancé.

Ce qui est sûr, c’est que dans ce cas de figure, le développement cellulaire anarchique, sa propension à s’étendre, à coloniser tous les espaces possibles va à un moment donné provoquer des perturbations de l’équilibre général de l’OTyS. La surconsommation de substrats par ce parasite avide d’hydrates de carbone va retentir sur la satisfaction des besoins généraux. La colonisation d’un organe va provoquer des perturbations de son fonctionnement que les systèmes de régulation réflexe ne pourront pas corriger. L’adaptabilité spontanée automatique sera prise en défaut. Les signaux générés par ce défaut vont s’imposer à la conscience. Et la recherche de l’origine anatomo-fonctionnelle de ces signaux aboutira à diagnostiquer la perturbation et sa cause : l’envahissement des tissus sains par un tissu pathologique autonome et dévorant. L’état de bon fonctionnement de l’organisme sera mis à mal. La cause identifiée donnera lieu à un diagnostic. La personne sera donc déclarée malade et sa maladie s’appellera cancer.

Mais ce peut être dans un OTyS en parfait état de fonctionnement que l’existence d’un clone cellulaire pathologique en développement peut se révéler par la propre fragilité de ce clone cellulaire. Une tumeur de vessie, souvent papillaire et fragile, va assez rapidement saigner. Ce sera donc la fragilité de ce clone et non une perturbation des fonctions organiques de l’ OTyS qui révèlera la pathologie.

Cependant, ce qui, jusqu’à ce qu’il se révèle ne créait aucune perturbation, va par sa seule révélation en créer une, et de taille.

Mais cela ne va pas se faire (pour le moment) dans la partie somatique de l’OTyS mais dans sa partie psy. La conscience de ce qu’une menace vitale est en cours de développement va créer des perturbations psychologiques, et comme nous sommes dans un OTyS, des perturbations psychosomatiques.

 

Pour continuer à développer cette façon d’analyser les choses, il est bien évident qu’il faut oublier définitivement l’idée que le mot psychosomatique désigne un processus pathologique touchant au soma mais prenant sa source dans le psy. La psychogénèse des maladies organiques est une idée fausse. Groddeck a échangé sur ce sujet avec Freud son « inventeur » qui en a convenu.

Non que les processus psychologiques ne puissent intervenir dans les équilibres somatiques. Bien au contraire. Si la psychosomatique est l’étude de la physiologie de   l’OTyS, alors l’intrication, l’interdépendance, les interrelations entre psy et soma sont permanentes et fonctionnent dans les deux sens.

Une simple envie d’uriner (vessie pleine à qui l’on a imposé par l’éducation de ne pas se vider de façon sauvage) va envahir le champ de la conscience et effacer toute autre action en cours. Qu’importe s’il s’agit de Einstein travaillant sur la relativité générale, d’un élève assistant à un cours, d’un amant faisant sa cour, ou d’une jeune fille à qui justement on fait la cour. Avant de continuer, il faudra aller faire pipi. L’espace du psy est saturé par le signal exigeant une adaptabilité complémentaire de celle qui est programmée.

Par contre, la conscientisation d’un signal de danger peut être longtemps retardée. Le cortex cérébral conscient ne peut pas faire deux choses à la fois. Ne pouvant recevoir et identifier qu’une sensation à la fois, il s’est constitué un système des filtres d’affect qui trient les informations au fur et à mesure qu’elles arrivent. Ces filtres fonctionnent avec des références, le plus souvent expérimentales, mais cependant assez souvent culturelles. Expérimentales, cela veut dire issues d’une expérience qui a laissé une trace mémorielle, chacune se voyant affecter par le cerveau limbique une valeur positive ou négative. Positive, elle sera à rechercher, à réactiver. Négative, elle sera à éviter, à fuir. Culturelle, cela veut dire qu’elle est issue de l’expérience des autres, par le biais de la parole, de l’éducation, de la culture. Elle aura exactement les mêmes caractéristiques et se comportera de la même façon.

Pour les signaux à valeur positive, les filtres d’affect ne les perturberont pas ou peu. Même pour Einstein, l’apparition dans son environnement proche des phéromones de sa petite amie, ou les fragrances de son parfum, ou simplement l’odeur d’une cuisine habituellement appréciée, détournera quelques instants son attention de son travail.

Pour les signaux à valeur négative par contre, ils seront identifiés comme dangereux et donc seront traités comme tout affect agressif, comme toute agression de l’OTyS passant par la voie du psy. Ils feront l’objet d’une réponse agressive qui se traduira par leur transformation, leur dénaturation. Et si cette réponse agressive ne s’avère pas efficace, ce sera la fuite qui sera mise en route : cela se traduira par le déni, le blocage de la sensation qui ne deviendra pas perception. Ce retard de conscientisation du signal de danger sera à l’origine de bien des diagnostics retardés et de situations irrécupérables. J’ai évoqué ces phénomènes dans un livre sur la relation soignants-patients, où le symptôme allégué par le patient apparaît complètement déterminé par les mécanismes que je viens de décrire.[1]

Pour revenir à la question posée, il faut la formuler différemment : quand devient-on malade ? C’est à dire quand passe-t-on du statut de personne en bonne santé à celui de personne malade ?

Il faut faire la différence entre le statut social et le statut personnel.

Pour la maladie dite « cancer », le passage au statut social de malade se fait avec la déclaration à l’assurance maladie qui permettra de bénéficier de la gratuité totale des soins. De ce moment, les soins afférents à la maladie déclarée seront pris en charge à 100 %. Cela se manifestera entre autres choses par l’utilisation par les prescripteurs d’un format d’ordonnance à deux plages : en haut ce qui ressortit à la maladie, en bas ce qui est du régime général (ticket modérateur, remboursements différents selon les médicaments etc.)

Ce que je nomme ici statut personnel, c’est la conscience par l’individu de la réalité du changement opéré dans son OTyS. Cela se traduit pour la personne par le fait qu’elle se présente à elle-même comme malade. Dans sa conscience, elle le traduit par : je suis malade. Et il s’agit là d’une perturbation psychosomatique. Indépendamment de toute perception d’un quelconque signal de danger en provenance de l’ OTyS, passer au statut conscient de malade, c’est se percevoir différent. La révélation de la pathologie qui ne se manifeste par aucun trouble perceptible inscrit dans un coin de l’espace du psy le changement de statut. En soi, cette information du psy ne modifie pas fondamentalement le fonctionnement de l’ensemble OTyS. Cependant, il s’agit quand même d’un signal de danger, non issu des profondeurs de l’ OTyS ni de l’environnement. Son émergence à la conscience sera discontinue, au gré des créneaux de disponibilité mentale ménagés dans l’activité vitale quotidienne.  Les filtres d’affect joueront là leur rôle à plein. Ce sont eux qui détermineront l’importance de ces créneaux. En même temps, toute perception inhabituelle d’un organe profond aura tendance à être rapportée à la « maladie ».

Bien entendu, dès lors que les organes malades signaleront le trouble de leur fonctionnement, et que la conscience de ces troubles apparaîtra comme telle, l’accession au statut personnel de malade s’imposera. L’activité quotidienne en sera complètement bouleversée.

Mais dès la révélation du trouble profond, même sans perception, ce qui va dominer est évidemment l’angoisse. Dans l’impossibilité objective de caractériser le danger, deux mécanismes vont se mettre en route : l’inhibition de l’action en tant que phénomène physiologique en l’absence de possibilité de lutte ou de fuite, et l’angoisse, en tant que manifestation psychologique de cette impossibilité d’action. Cette « peur sans objet » sera caractéristique du statut personnel de malade.

Bien entendu, son intensité et ses manifestations dans la vie courante dépendront des multiples modèles installés en référence dans les structures mentales par les expériences vécues et par les informations reçues au cours du processus vital précédent.  Parmi ces modèles, les plus actifs seront ceux installés « en structure » dans la prime enfance avant l’apparition de la mémoire.  C’est de l’action de ces modèles que procèdera l’attitude personnelle, individuelle, et la diversité des comportements entre les individus.

A une extrémité, ce pourra être la prostration complète avec rétrécissement de l’espace du psy fonctionnel, l’occupation totale de cet espace par la conscience de la maladie et de son danger potentiel.

A l’autre extrémité, ce sera le refus de laisser envahir l’espace du psy par la perception du danger en activant au maximum les filtres d’affect. L’activité vitale quotidienne ne sera perturbée dans un premier temps que par les différentes interventions à visée diagnostique et/ou thérapeutique qui viendront s’insérer dans les activités de survie de base. Par la suite, quand les fonctions qui les supportent seront perturbées par le processus pathologique, l’effacement des signaux qui le manifestent sera volontairement produit par une activité psychosomatique redoublée.

Il est clair désormais que le fait d’être malade n’est pas directement lié au processus pathologique organique. Nous avons noté que pendant une période plus ou moins longue le processus pathologique peut se développer sans provoquer localement de perturbation fonctionnelle pour générer un signal d’alerte. Nous venons de remarquer que même si un signal d’alerte est émis, sa nouveauté comme processus et donc l’absence de modèle de référence le feront longtemps ignorer. L’identification du signal fera appel à des modèles «  à peu près » qui détourneront longtemps l’attention du problème lui-même. Et lorsque le signal deviendra plus prégnant, les filtres d’affect vont pouvoir soit le distordre par le mécanisme de réponse agressive à un affect agressif, soit le dénier par le mécanisme de fuite. Dans tous les cas cités la personne n’est pas malade. Un processus pathologique se déroule sans apparaître comme tel à la conscience.

A ce stade, nous pouvons donc dire que c’est la conscience de la pathologie en cours qui fonde, sur le plan psychosomatique, l’état de maladie.

Avant de poursuivre revenons sur l’idée d’une psychogénèse des processus pathologiques organiques qui fonderait la psychosomatique. Mr Larousse nous dit que la psychogénèse est un processus psychique à l'origine d'un trouble mental ou organique. Plus généralement, la psychogenèse, par opposition à l’organogénèse qui a longtemps prévalu en psychiatrie  désigne l'origine et le développement de nature psychique d'un comportement, d'une conduite, d'une maladie mentale ou même organique, dite alors psychosomatique.

Ce que cette idée a de discutable c’est qu’un certain type de difficulté de vécu actuel ou dans l’enfance puisse déterminer un trouble local organique dont la localisation serait en rapport avec les difficultés existentielles inscrites dans l’inconscient. Les difficultés rencontrées au stade oral induiraient une propension à téter, des cigarettes par exemple, ce qui n’est par exempt de problèmes potentiels de cancer de la gorge ou de la langue. Celles rencontrées au stade anal pourraient déterminer une constipation opiniâtre. Dans tous les cas, la pathologie qui pourrait être liée ne sera induite que par des comportements toxiques ou médicamenteux excessifs.

Par contre, l’inhibition de l’action, lorsqu’elle se prolonge fera des dégâts organiques. L’ulcère gastrique, la colopathie spasmodique, l’infarctus du myocarde pourront être directement liés à son mécanisme. Rappelons que l’inhibition de l’action, qui se met en route lorsque l’yS, confronté à une situation agressive physique ou psychique, fait l’expérience de l’inefficacité de l’action. Dans ses conditions se met en place un mécanisme d’attente en tension, avec comme base le remplacement de l’adrénaline par la NOR-adrénaline.

L’adrénaline est l’hormone qui provoque les modifications fonctionnelles qui permettent l’action ou la réaction, et en cas d’affect agressif soit réponse agressive soit fuite. Le cœur s’accélère, l’éjection cardiaque se renforce, la tension artérielle augmente, les artères conduisant le sang aux muscles, au cerveau, au cœur et aux reins se dilatent tandis que celles qui irriguent des territoires non concernés (tube digestif p.e.) se contractent, la respiration s’accélère, les réserves énergétiques de glycogène sont mobilisées en masse dans le foie et les muscles. L’OTyS est prêt à l’action brève et efficace. Il s’ensuit une diurèse conséquente et tout rentre dans l’ordre.

Si l’action s’avère inefficace, la NOR-adrénaline prend le relais. Elle provoque une vasoconstriction majeure, touchant tous les territoires, et ceci de façon suffisamment prolongée pour être responsable de lésions d’ischémie. L’ulcère d’estomac, l’infarctus du myocarde, les AVC par vasoconstriction sont à mettre en lien avec ce processus. En outre, il est avéré que, non seulement l’inhibition de l’action interrompt de fait les mécanismes de défense contre l’agression physique ou psychosociale (que l’on appelle aussi le stress) mais encore qu’elle inhibe jusqu’aux mécanismes cellulaires et immunologiques de défense. Et c’est dans ce type de contexte, avec des systèmes défense cellulaire inhibés que peut se développer un clone cellulaire atypique ; dans les conditions normales du fonctionnement de l’ OTyS ces cellules, identifiées comme non conformes, sont immédiatement détruites.

Il y a donc indiscutablement une incidence des processus psychologiques sur le fonctionnement de l’ OTyS , ce qui n’est pas surprenant puisque sa physiologie intègre totalement ces processus. Tout naturellement, lorsqu’une perturbation survient dans le fonctionnement du psy, le soma en subit les conséquences adaptatives. Et lorsque le système passe d’une adaptation génétiquement programmée à des conditions de fonctionnement extrêmes, les régulations somatiques se perturbent, et au bout d’un moment se perdent pour entrer dans des processus dont le caractère excessif devient délétère pour l’ensemble. C’est toute la différence qu’il y a entre une psychogénèse qui serait à l’origine d'une maladie mentale ou même organique, dite alors psychosomatique, et la vision d’un OTyS intégrant dans un ensemble unifié le psy et le soma dont la psychosomatique serait la base du fonctionnement normal et/ou pathologique.

Mais cela ne nous dit pas ce qu’est la maladie sur le plan psychosomatique.

Nous avons déjà noté que la conscience de la maladie est indépendante du processus pathologique. Si la maladie peut être décrite par ses caractéristiques somatiques et leurs perturbations, le fait d’être malade n’existe que dans la conscience de la personne. D’ailleurs, si le malade imaginaire n’a pas de pathologie organique, il n’en est pas moins malade.

Être malade ce n’est donc pas seulement être atteint d’une pathologie, c’est avoir conscience du fait qu’une pathologie modifie son rapport à soi-même et au monde. Être malade, c’est sortir d’une autonomie dans le monde, dans le temps et dans l’espace pour s’enfermer dans une bulle de temps raccourci, de compétences diminuées, de projets occultés et de devenir incertain. Être malade c’est se replier sur soi avec un OTYS moins efficace pour assurer la survie, une confiance altérée en son corps qui devient, non plus l’outil performant de cette survie, mais le réceptacle d’un danger permanent.  Les sensations nouvelles sont alors systématiquement décodées comme des signaux de danger. Sénèque l’a dit il y a longtemps : « au malade le miel est amer ». Le rapport au monde passe par le filtre de la paroi de la bulle. Les relations précédemment établies sur la base de l’autonomie psychosomatique sont réévaluées à l’aune de la capacité pour les autres de prendre en compte la maladie comme élément essentiel de la personnalité. « Le malade n’a pas d’amis » dit un proverbe créole. De fait, il ne peut avoir que des complices de sa transformation en malade.

Devenir malade, c’est mettre entre parenthèse sa capacité à devenir, c’est s’installer dans un présent indéfini. Si une personne peut être définie dans sa trajectoire vitale comme un « devenant », alors le malade cesse de l’être. Franchir le pas qui incite à se vivre comme malade, c’est quitter le monde du devenir. Et à supposer que la maladie, bénéficiant des soins et thérapeutiques adaptées, guérisse un jour, les dégâts provoqués dans l’ OTyS seront intégrés à la personnalité du devenant qui en restera définitivement transformé.

Peut-on donc être atteint d’une pathologie grave et ne pas être malade ?

À la question ainsi posée la réponse est oui. Être malade c’est capituler en rase campagne devant la maladie. C’est en fait obérer ses possibilités objectives de faire face, de mobiliser toutes les forces de son OTYS pour faire échec au processus envahissant et potentiellement destructeur.

Refuser d’être malade par contre, c’est continuer à vivre, à lutter, et ne considérer la lutte contre la maladie que comme un des éléments de la lutte générale pour la survie dans le double environnement humain, biosphérique et social. Ce n’est pas cependant refuser la réalité de la maladie et les comportements adaptés à la lutte contre cette maladie. C’est prendre en compte une réalité nouvelle, avec ses caractéristiques propres, mais sans laisser cette réalité remettre en cause l’intégrité psychosomatique de l’ OTYS.

Comme exemple pertinent, j’ai celui de mon père, vivant avec des mutilations très importantes du fait de la guerre, et qui a toujours vécu, non pas comme un infirme ayant besoin d’une aide pour survivre, mais comme une personne valide, mais amputée d’une partie de ses membres. Avec seulement deux doigts il a accompli une carrière remarquable, conduit sa voiture, écrit, levé en cas de besoin des filets de poissons, et il est mort de tout à fait autre chose à 86 ans.

Cet exemple est démonstratif de la capacité d’une personne humaine d’exprimer son humanité indépendamment de son intégrité physique. Travailler, créer, aimer, lutter avec des objectifs et des projets, cela ne nécessite que le courage d’affronter les efforts, les échecs, les déceptions, tout en se réjouissant des résultats, des victoires, des élans partagés. La maladie ne peut au maximum que mettre des barrières à certains des actes de la vie courante. Elle ne peut rien contre la puissance de l’esprit. Et ce n’est pas la dénier que de continuer à vivre comme si elle n’était pas là. La maladie est une aberration du système psychosomatique. Elle emprunte les structures, les systèmes, les organes, les processus de la survie pour les dévier, les détourner de leur fonction, les mettre à contribution pour les affronter aux processus vitaux essentiels.

Hétérotopique, le processus pathologique emprunte des voies et des moyens ortho-topiques. Elle est comme un général qui retournerait son avant-garde contre le gros de son armée. Avec les mêmes armes, le combat serait violent. Et comme c’est le plus souvent le cas c’est le gros de l’armée qui écraserait l’avant-garde traître. Cela laisserait évidemment des traces, affaiblirait temporairement l’ensemble combattant. Mais progressivement tout rentrerait dans l’ordre pourvu que le commandement garde le cap et continue à diriger la troupe dans le sens de sa victoire. 

Ce serait plus difficile si les traitres, au lieu de se retourner à visage découvert, s’organisaient en 5éme colonne, développaient leur organisation, infiltraient sournoisement les unités combattantes, et apparaissaient seulement après avoir contaminé l’ensemble opérationnel.

Mais dans tous les cas, c’est avec les moyens de défense de l’OTyS atteint, aidé par des thérapies destructrices des éléments agressifs, que leur élimination devient possible et que la maladie peut être éradiquée. Ce sera vrai avec une infection bactérienne ou virale, comme avec une tumeur, bénigne ou maligne. Il ne s’agit donc pas de la dénier. Ce dont il s’agit c’est de ne pas laisser les superstructures neuropsychiques se faire envahir par les affects physiques ou psychiques issus du processus pathologique. Il ne s’agit pas de ne pas y penser. Il faut accepter d’y penser, mais dans une stratégie de lutte.

En fait, pour lutter efficacement contre une maladie, aussi grave soit-elle :

 il ne faut pas accepter d’être malade.

Mais ce n’est pas évident.

Je reprends ce texte au vol le 17 octobre. Il s’en est passé des choses depuis que je me suis interrogé sur la question : suis-je malade ou pas ?

Et c’est bien le jour où y revenir car aujourd’hui, pour la première fois depuis maintenant plus de deux mois, je me suis réveillé avec le sentiment d’être à nouveau « comme avant ». J’ai dormi une bonne nuit avec réveil à 4h30 ce qui est tout à fait normal après avoir fait des plongeons ensommeillés répétitifs devant un documentaire sur Chirac. J’ai décrit ça ce matin en continuation de « la vie continue ». Je n’y reviens pas.

Mais dans le cadre du questionnement sur ce que c’est que « être malade », cette nouveauté mérite d’être analysée. Bien sûr grâce aux anti-inflammatoires ma vessie me perturbe de moins en moins avec ses exigences. L’urine ne brûle plus. La miction est complète d’emblée avec un jet d’urine de bon aloi. Surtout, je ne me suis pas levé une seule fois pour pisser de la nuit. Curieusement, mes épaules qui, hier encore, me dérangeaient à chaque mouvement, semblent elles aussi s’être endormies du sommeil du juste. Quant au portacath, si je n’y touche pas il est indolore. Le plus curieux est que, jusqu’à hier, il y avait une simultanéité de la sensation spastique d’envie d’uriner et d’envie d’aller à la selle. Au point que j’avais fini par fantasmer sur le fait que la tumeur de vessie, transfixiant la paroi, avait fait connexion avec le rectum. Ça aussi c’est fini. Et puis sur le plan général, je ressens mon corps comme je l’avais toujours connu, sans cette pesanteur permanente et cette difficulté d’avancer que je vivais depuis l’épisode initial.

N’aurais-je pas, en fait,  été malade ? Et si oui, ne le suis-je plus ?

Pourtant la situation pathologique de base n’a pas changé. Pour autant que le chirurgien ait réussi à faire le maximum lors de la dernière RTUV, la pathologie tumorale est toujours à l’œuvre. Bien entendu la cicatrisation au niveau de l’épaule droite, la cicatrisation autour du portacath et surtout la réponse aux anti-inflammatoires de l’urètre prostatique sont probablement en cause dans l’atténuation des symptômes locaux. Mais la sensation de bien-être retrouvé, la perception d’un renouveau de compétence physique, et surtout la brusquerie de cette sensation et de ce renouveau sont à l’évidence d’une autre nature. D’autant qu’il s’agit d’une « impression » non mesurable. Mais comme toute impression elle est forcément l’expression de quelque chose qui est en marche dans la profondeur de l’OTyS.

Comment naît la sensation de bien-être ? dans l’ensemble c’est quasiment toujours par comparaison avec une situation antérieure. Être bien dans sa peau, ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Aller bien non plus. Pour ce que je ressens aujourd’hui il me semble que c’est, quelque part, de la levée d’un blocage, de la résolution d’un nœud, de la remise en route d’une fonction altérée, qu’il s’agit.

En outre, ce n’est pas du plaisir. Je sais ce que c’est que de ressentir un vrai plaisir à la vidange de la vessie quand elle a été trop longtemps pleine et empêchée de se vider. J’ai fait volontairement ce type d’expérience idiote après la lecture de « la peau » de Malaparte. Ce qui irradie dans ce contexte a à voir avec une décharge d’ocytocine et d’endorphines, comme d’ailleurs au cours de l’orgasme génital.

Ce que je ressens maintenant est structurel, reconstituant, comme si une perturbation organique avait cessé et que je puisse en avoir une perception subliminale que la conscience transforme en retrouvailles avec moi-même.

Pas facile à dire ni à décortiquer. Mais bon, quand on se pique de psychosomatique telle que je la conçois et qu’en plus on dispose de temps et d’un ordinateur pour l’écrire …

Donc ça va mieux et cela constitue un bon augure pour le début des hostilités prévues pour le 7 novembre. Date mémorable s’il en fut pour un déclenchement d’hostilités contre le mal qui ronge en douce et en profondeur. Il n’y aura pas de croiseur Aurore pour donner le signal. Mais ce sera une période riche même si elle est un peu difficile à vivre. Le plus ennuyeux dans cette situation comme dans beaucoup d’autres c’est que l’anticipation est impossible. D’autant qu’en fait, tout en me racontant que je domine la situation psychosomatique, je me suis rendu compte que dans les périodes de non-sommeil qui se font de plus en plus fréquentes ces derniers temps, je serre les mâchoires et si je ne les fais pas crisser, c’est que je me retiens ou tout simplement que ce n’est pas ma manière de faire. La tension est quand même palpable, et cela malgré la prise vespérale d’un anxiolytique. Je ne crois pas avoir jamais eu recours à ce genre de drogue. Les expériences se succèdent.

 

 


[1]NAISSANCE,SANTÉ,SOCIÉTÉ. Les relations soignants-patients à l’épreuve du marché
142 p. Presses Universitaires de Perpignan. Collection Études. Perpignan 2001
P.U.P. Université de Perpignan. 52, avenue de Villeneuve 66860 PERPIGNAN

Tag(s) : #Expériences nouvelles
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