visade censure n° 000002
Lundi 22 août matin 4 heures :
Quel intérêt y a-t-il de transcrire les contenus de mes ruminations ? Je n’en sais rien, mais l’expérience faite de pouvoir se débarrasser de certaines idées et constructions théoriques en les mettant en forme et en les publiant sur le blog me pousse à le faire. Est-ce que ça me permettra de penser enfin à autre chose, de me remettre à faire des projets et à me remettre en train pour l’activité quotidienne, je n’en sais rien mais je fais le pari.
Mes ruminations, elles sont en lien avec ce que je ne peux pas éviter de savoir. D’abord parce que c’est mon métier, ensuite parce que je vais chercher les informations disponibles. Et ce n’est pas réjouissant. Je n’ai toujours pas reçu le compte-rendu anapath et je n’ai donc, avec la lecture téléphonique des conclusions, que le stade transmis de vive voix. En outre, le compte-rendu devait être transmis par courrier et une semaine a passé sans que je ne voie rien venir. D’ici à ce que la transmission des résultats me soit retardée pour d’obscures raisons tenant au contenu, il n’y a qu’un pas que, dans mes ruminations, je franchis aisément.
Le problème réside en fait plus dans l’histoire naturelle du cancer de vessie que dans le diagnostic et ses possibles conséquences en termes de thérapeutique.
Car l’histoire naturelle du cancer de vessie est celle d’une pathologie de l’urothélium dans son ensemble. Les facteurs de risque sont dans l’ensemble toxiques et je n’en ai aucun. Par contre, ma vessie semble truffée de diverticules comme d’ailleurs mon sigmoïde. Est-ce un facteur de risque, cela ne transparaît pas dans les publications.
Par contre, les diverticules sont des lieux où la membrane basale et le chorion sont « à nu » au contact des organes adjacents, sans la musculeuse comme barrière ? Encore faudrait-il que la musculeuse soir une barrière au processus néoplasique et pas seulement une limite identifiée comme pertinente pour la stadification.
Ce qui est sûr c’est que la guérison authentique n’est pas à l’ordre du jour. Un urothélium pathologique est à tout moment susceptible de repartir vers un processus tumoral à n’importe quel endroit. J’y ai pensé hier soir quand j’ai constaté que mon urine se reteintait de sang. Bien entendu c’est probablement la chute d’escarre suite à l’intervention. Le chirurgien m’avait prévenu de cette éventualité et des boissons en quantité ont permis aux urines de redevenir claires dès le début de la nuit.
Il n’en reste pas moins que j’ai passé une grande partie de ma nuit, en allant uriner, à contempler mes urines pour y déceler les signes d’une reprise de l’hémorragie. Je passe sur le pic de rumination au moment du repas pris en commun avec les poupettes avec le retour sur les épisodes récents : hématurie, hémorragie, sonde à demeure, bagarre de ma vessie …
Bien entendu, le fait que cet épisode était prévisible et non lié au processus pathologique lui-même m’a permis de relativiser et de revenir à de moindres angoisses. Mais en même temps, compte tenu de l’histoire naturelle de la maladie, j’ai compris que je vais passer le restant de mes jours à me regarder pisser avec la peur de voir réapparaître du sang et donc la réactivation du processus pathologique.
Evidemment cela rend logique le traitement dit standard qui consiste à enlever la vessie pour éliminer le tissu pathologique. Mais je ne suis pas prêt à accepter cette éventualité avec son cortège de complications multiples potentielles liées à la complexité de l’ « usine à gaz » que constitue la cystectomie accompagnée de résection iléale et donc de réimplantation termino-terminale, la construction d’un sac iléal pédiculé avec une résection-suture en Z la réimplantation des deux uretères dans ce sac, la réinsertion de l’urètre etc… Autant de techniques chirurgicales ayant chacune son lot incontournable de complication potentielles. Il n’en est donc pas question.
Voilà l’état de mes ruminations actuelles. Simone est venue lire par dessus mon épaule. Ça va encore la déstabiliser mais bon, on partage.
Déjà elle s’est mise en quête des éléments du régime cétogène qui va forcément accompagner les thérapies proposées. Ce ne sera pas vraiment nouveau pour nous mais ce sera plus rigoureux étant donné les enjeux. Le plus difficile sera la réincorporation de lipides à un taux suffisant (environ 300 g par jour).
On va faire ce qu’il faut, puis après, à Dieu vat !
Mardi 23 à 6 heures : un élément pour tempérer mes ruminations, ma visite au laboratoire d’anapath. J’y ai déposé des urines pour avoir la possibilité d’une évaluation rapide des résultats locaux de l’intervention. Ce sera un élément important des discussions le 29 avec le chirurgien.
Mais le plus important est que j’aie imposé l’idée que je suis une partie prenante incontournable des décisions qui se prendront pour la suite des évènements me concernant. Il n’est évidemment pas question, comme le suggérait une consœur, que je me « remettre dans le mains de » qui que ce soit. Mon cancer de vessie est mon affaire et il le restera. Je devrai être systématiquement informé de ce qui se décidera, et avant que cela ne se décide ; et cela inclut la communication en temps réel de tous les résultats quels qu’ils soient.
Du coup, je suis plus serein. Pas question d’admettre que qui que ce soit décide à ma place et m’impose ce que l’on considère comme des protocoles de décision intangibles. Je n’ai pas combattu des notions aussi ancrées que le « bassin rétréci », les « douleurs de l’enfantement », et récusé des techniques aussi « essentielles » que la radiopelvimétrie, la péridurale ou l’épisiotomie en obstétrique, pour accepter quoi que ce soit pour la simple raison qu’il y aurait un consensus sur la question. Je sais ce qu’il en est du consensus en médecine et du temps infini qu’il faut pour qu’une idée, une technique, pourtant démontrée comme étant obsolète voire dangereuse soit abandonnée. Ainsi de la radiopelvimétrie ou de l’épisiotomie qui continuent à être pratiquées bien que l’on sache que la première n’a comme résultat que d’augmenter indûment le taux de césariennes et que l’autre, non seulement n’a strictement aucun intérêt, mais n’a que des inconvénients.
L’entrevue avec une consœur anapath s’est remarquablement bien passée. Et j’ai lu dans son regard une certaine considération pour ce vieux bonhomme et néanmoins confrère qui venait lui demander son « accompagnement » médical plutôt qu’une simple référence technique pour un problème aussi peu facile à gérer que le cancer de vessie.
Me voilà donc paré pour attendre lundi et accompagner les poupettes à Flagey en passant par la grotte Chauvet et le parc des gorilles.
Le régime cétogène est en route et je « pue du bec » très convenablement comme il se doit en pareille circonstance.