1er novembre
Ce coup-ci, on a bel et bien bifurqué. Je pensais que la trajectoire vitale avait été déviée et c’était vrai, mais je ne savais pas à quel point. Me voilà entre quatre murs, dans une chambre du centre anticancéreux, avec une fenêtre qui donne sur les toits des bâtiments annexes à celui où je suis. Bâtiment A1 et chambre 404. J’y suis depuis hier et j’ai eu du mal à me mettre à la relation mais si je ne m’y mets pas je perdrai des informations.
Je suis donc entré hier à 14 heures. Temps arrêté ou presque. A intervalles plus ou moins réguliers on entre et on sort de ma chambre après avoir frappé. Des lapins blancs pensai-je d’abord. Mais là, pas du tout. Des filles, jeunes pour la plupart, vêtues comme les lapins blancs mais avec des sourires, des mots banaux mais sympathiques, et une fraîcheur générale, quelque soit l’âge, qui met un peu plus à l’aise. A chacune et à chacun (car il y a des hommes), je décline mon nom, mon prénom et ma date de naissance. Et chacune de me prendre la tension, la température, de me repiquer pour une nième prise de sang pour bilan. Je signale qu’il y en a une de moins de 3 jours, pas de problème, c’est le protocole. Bon. Un interne fait une vague incursion sans grand objet ni examen. Je m’attendais à une « observation » comme j’en fis tant en mon temps. Mais non, il a l’air plutôt emprunté et assez « à côté de ses pompes », un tout jeunot probablement. Une jeune femme brune, un peu ( !) rigide fait un aller et retour : « Docteur xxxx, je reviendrai vous voir ». L’après-midi se passe ainsi jusqu’à deux épisodes marquants : la mise en place d’une perfusion « pour m’hydrater » dans la boîte portacath puis la descente à la première séance de radiothérapie. C’est la première balade nanti de ma perfusion que le brancardier qui m’accompagne m’apprend à tenir devant moi par la poignée. Ascenseur, couloir, tourner à droite, re-couloir, petite attente en salle ad hoc et séance proprement dite. Allongé sur un étroit praticable, je vois tourner autour de moi d’énormes pales rondes ou carrées qui lentement tournent, se déplient, puis retournent, ronflent, et enfin se replient en silence. On se croirait dans une capsule spatiale. Dommage que je ne puisse pas filmer ça. Je remonte à la chambre toujours nanti de mon inséparable perfusion et maintenant du programme complet des séances de radiothérapie. Comme il manquera celle de vendredi 11 novembre, il y en aura une le lundi 12 décembre. Le plateau repas m’attend au retour avec du chou farci qui semble avoir été cuisiné à la main. On est loin de Tricatel.
Voilà pour la première journée. La nuit est évidemment aussi agitée que les précédentes à la maison, sauf que je ne suis pas à la maison et que les possibilités de mouvement sont limitées. Du coup, je lis le livre iconoclaste de Laurent Schwarz in extenso. J’y reviendrai probablement après la thérapie de choc.
La connexion internet ne marchant pas pour l’iphone, j’en suis réduit à n’avoir aucun échappatoire. En plus, l’ICM est éloigné du centre et des antennes de radio, ce qui fait que je ne peux quasiment rien capter avec le poste. Ou tout simplement c’est la quantité d’ondes électromagnétiques qui se diffusent dans cet environnement qui font le barrage. Pour l’ordinateur, il faudrait que je me lève, et j’ai quand même envie de m’endormir si ça vient. Ça finit par venir et je dors jusqu’à 6 heures. Il faudra que je repère s’il y a une machine à café. Il y en a une en bas à l’accueil. J’irai demain.
Et la deuxième journée commence. Petit déjeuner café beurre confiture. Je bois le café et mange le beurre. On vient : tension artérielle (haute, probablement ma tension interne qui ne descend pas vite), température, question sur la douleur. Visite avec comme chef la petite femme rigide d’hier. Je commence à avoir des précisions sur le déroulement des opérations. En fait je testerai la nouvelle molécule en plus du cysplatine. Et je reçois le programme complet quelques instants plus tard de l’attachée de recherche. Il faudra faire la radiothérapie entre 2 et 6 heures après la perfusion de Gemzar. Du coup, mes après-midi de non hospitalisation seront bien remplies. J’aurai encore la visite d’une diététicienne qui me demande mes préférences pour la nourriture et sur mes indications me fait des mets appropriés. Enfin j’aurai un entretien avec une nutritionniste qui passera un assez long temps avec moi pour parler en particulier des régimes d’accompagnement.
Entre temps on est entré dans le vif du sujet avec les perfusions. D’abord une petite de préparation antivomitive, puis la perfusion de Gemzar (la nouvelle molécule testée) et enfin la mise ne place du cysplatinium qui va m’accompagner jusqu’à samedi. Enfin, deuxième séance de radiothérapie et promenade dans les couloirs.
A noter que pendant qu’elle préparait les perfusions successives j’ai remarqué que l’infirmière arborait un autocollant « infirmière en grève ». L’occasion de dire un mot de la situation des hôpitaux et de la santé en général.
Ouf ! Tu comprends pourquoi je me dépêche d’écrire tout cela. Il s’en est passé des choses. En même temps, je dois avouer que, dans l’après-midi, au milieu de cette avalanche d’interventions et de commentaires divers, j’ai senti se craqueler ma belle assurance de bien supporter tout cela. J’y reviendrai. Mais surtout je vais prendre mon anxiolytique que j’avais cru pouvoir laisser dans sa boîte. La nuit est tombée pendant que j’écrivais. Il est bientôt 19 heures, l’heure de parler avec ma doudou.
9 novembre
cette nuit un vrai coup de mou entre minuit moins le quart et 3 heures. La vessie toujours et l’urètre tous les ¼ d’heure. De moins en moins d’urine évidemment mais de plus en plus de feu. J’ai pris un tramadol et puis petit à petit ça s’est tassé et je me suis réveillé à 5 heures puis à 7. J’ai retardé le moment de téléphoner à la doudou pour ne pas trop la déstabiliser. Et enfin ce fut Bérenger qui m’annonça la victoire de Trump aux USA. Ça m’a redonné du « peps ». Je me suis douché, changé et après une nouvelle prise de sang, me voilà en situation de faire face à la suite.
15 novembre
Pas eu le temps ni l’énergie de revenir raconter ma vie à mon petit copain Mac. Parce que, il faut le dire, les gens bien informés racontent que la chimiothérapie « ça fatigue ». Eh bien ! la bonne surprise c’est que dans une première période très courte, effectivement on se sent fatigué. Mais très vite ça dégénère. Et alors le mot fatigue devient un délicat euphémisme. Je reprends aujourd’hui cette narration car je sors à peine d’un état spécial. Il aura fallu les 36 heures de Sirach et deux journées de plus à boire comme un trou pour éliminer le poison. Car certes, c’est bon pour moi que mes cellules malignes soient impitoyablement occises. Mais mon corps n’avait pas pensé ni surtout pas prévu qu’il faudrait lui infliger ça. Et la réaction est à la mesure de la surprise. La langue française que je me flatte de connaître relativement bien, et son vocabulaire dont je pense maîtriser une bonne partie de son étendue ne me paraissent pas offrir de mot convenable pour qualifier l’état de sidération des fonctions, non seulement de mobilité, mais même d’opérabilité intellectuelle. Pour la mobilité, la démarche adopte rapidement la vitesse et la légèreté de celle d’un percheron en fin de journée de labour. Pour l’opérabilité intellectuelle, elle reste, lui semble-t-il, intacte mais il ne fut surtout pas lui demander d’aller plus loin. De longues périodes de réflexion avec parfois de belles formules pour les exprimer, des éclairs de lucidité supportés par des mots venant de loin souvent, abandonnés qu’ils ont été par l’usage de raccourcis ou de truismes plus faciles, mais au moment de bouger pour les consigner quelque part : nada ! Les seuls mouvements effectués, par nécessité, sont ceux qui conduisent du lit à la lunette des toilettes, et la déambulation qui conduit le long des couloirs jusqu’à l’officine de radiothérapie. Les premiers sont fréquents, par salves, que ce soit le jour ou la nuit, et espacés de quelques minutes les plus souvent. Les autres une fois par jour. Ce sont les seuls « exercices » tolérés par la masse de mon corps qui ne trouve de sensation de « bien-être » que dans la position allongée. Pour quelqu’un qui ne pouvait pas tenir en place sans faire quelque chose, qui avait toujours quelques chose à faire, quelque chose en retard qui ne pouvait attendre, ça fait bizarre vu de loin et avec le recul. Sur le moment même pas. Et je ne parle pas du compagnon permanent de cette vie recluse, la potence à perfusion toujours lestée de poches translucides et surtout armée de cette seringue automatique distillant son venin à la vitesse de 2 ml par heure. Et ça pendant 6 jours de rang. Entre elle et moi, un lien indissoluble constitué de plusieurs tubulures avec lesquelles il faut faire dans tous ses mouvements, que ce soit à la verticale ou à l’horizontale.
Finalement, le sixième jour est arrivé. À 17 heures, la pompe de la seringue a sonné le clairon de la délivrance, les tuyaux ont été ôtés. Simone est à mes côtés, pressée de me ramener quelque part où j’aie une meilleure tête, une meilleure volonté.
L’arrivée à Sirach de nuit avec un temps d’automne pluvieux et les retrouvailles avec « mon lit » sont un début de renouveau.
Je mange une mandarine. Il y a bien 4 jours que je n’ai quasiment rien mangé. Ne rien faire s’est en effet doublé d’une perte complète d’appétence alimentaire et même de goût. Même le café ne me dit rien. Alors, l’attrait soudain de la mandarine résonne comme un autre élément du renouveau.
Dimanche quasiment toute la journée au lit. Et un coup de mou à un moment donné e pensant que demain j’y retourne. Comme un enfant qui ne veut pas aller à l’école et qui pleure toutes les larmes de son corps en pensant que ça va bien finir par amadouer quelqu’un, je suis traversé par un « je ne veux pas y aller ! » à la limite du pleurnichard. Evidemment je le garde pour moi mais tout y est en une fraction seconde y compris le désespoir enfantin.
Heureusement, la disparition progressive du poison de mon organisme me redonne quelques forces et quelques moyens. Et c’est sans qu’on me tire par la main que je reprends place dans la voiture qui me ramène vers le lieu de mes futurs exploits.
La bifurcation est de plus en plus évidente.
Ce qui est sûr c’est que j’ai gagné le droit de revenir en deuxième semaine. Et ça ce n’est pas rien.
18 novembre
la deuxièmes semaine vient de se terminer. Un autre monde ; d’abord Simone était avec moi, garde-malade attentive quasiment à l’excès mais finalement merveilleuse dans cette nouvelle situation que nous sommes en train de traverser. Et je dis nous, car elle en prend très largement sa part. J’y reviendrai car ce n’est pas rien de se retrouver, après 50 ans de vie commune, trimballés comme nous le sommes avec des perspectives finalement légèrement assombries, et de garder cette fraîcheur de sentiments qui nous soude l’un à l’autre.
Logés à l’hôtel par la grâce de l’œuvre protestante de Saint Jean , nous avons gardé une intimité et une autonomie du bon aloi. Le programme médical était un peu plus léger. Une séance de rayons quotidienne et deux fois dans la semaine une perfusion de Gemzar. Du coup j’ai pu de mon côté me reposer et Simone me seconder. La fatigue a été moins harassante et nous avons pu profiter de l’environnement : une promenade en ville à la recherche de nos souvenirs mercredi et une à Palavas jeudi.
Autant dire que nous n’avons quasiment rien reconnu de la ville qui est devenue une immense métropole à la limite de l’humain. Nous avons quand même fait un tour des halles à la comédie et finalement mangé dans un restau aveyronnais : des tripoux pour moi (succulents) et une salade suivie d’une flaune pour Simone. Bien sûr la flaune n’était pas exactement comme il aurait fallu mais dans l’ensemble acceptable.
A Palavas, promenade le long du canal principal qui, lui, n’a pas trop, changé, en tout cas l’eau… Et on a mangé des moules marinières, bien faites, bien servies. Ma surprise fut les deux fois que bien que ma bouche ne me disait rien qui vaille dans sa capacité à apprécier quoi que ce soit, je me suis régalé quand même.
Une autre petite remarque à propos de la ville de Montpellier, c’est un gigantesque foutoir sur le plan de la signalisation et il faut une sacrée persévérance ou de la chance pour finir par arriver là où l’on veut. Simone n’a pas retrouvé son bistrot de Saint Éloi, moi j’ai reconnu la cité U du Triolet mais c’est vraiment tout. La semaine prochaine on retournera au centre ville pour voir s’il reste quelque chose à reconnaître.
Là, j’attends ma radiothérapie et on file.
24 novembre
Un peu de clarté dans la tête et je me remets à cette relation. Quelques petites choses à raconter et d’autres à imaginer. Nous sommes revenus lundi pour la suite des réjouissances après un week end passé à récupérer et à profiter des proches et amis. Des amis d’abord. Nos Sylphil qui ont « fait de détour » entre Canet et Collioure pour venir nous soutenir. J’ai failli écrire « soutenir le périnée », expression typiquement jargonesque uniquement compréhensible entre obstétriciens et associés. Ce fut un bon moment de plus de fraternelle amitié. Et ça compte. Denis ensuite qui s’est aventuré jusque dans ma chambre pour me témoigner lui aussi de son amitié.
Il faut dire que le retour au bercail tant attendu avait été marqué par un accès de fièvre de cheval attribué à un refroidissement pendant la perfusion de Gemzar. En fait, me dira la semaine suivante un des médecins qui suit la chose, c’est un simple effet secondaire du produit. Du coup j’ai passé le samedi au lit.
Puis le dimanche ce sont les perpignanais qui nous ont visité avec une énorme côte de bœuf et plein de bonnes intentions. L’après-midi s’est passé autour de P-E qui planchait sur le thème de l’apologue. Et il y est resté jusqu’à ce qu’il ait terminé. Du coup il n’a pu faire un tour de moto qu’à la nuit tombée. Un bon après-midi très familial au bon sens du terme, Camille, à tout moment sautillant, s’agitant, perturbant son frère afin que le tableau soit complet. De quoi faire le plein d’énergie positive. D’autant qu’après leur départ, ce fut un fass’taïm avec les parisien-nes. Un vrai régal de plus.
Depuis lundi donc, retour à l’hôtel Bellagio, rayons et perfusions se succèdent. Je me meus de plus en plus lentement et gauchement, tel un pachyderme handicapé. Mais bon, Simone conduit, est attentive aux besoins de survie et je fais encore illusion au dehors. Le mauvais temps s’est abattu sur la région et notre escapade vers Maguelonne a été juste un aller et retour. Le site est toujours aussi isolé et d’autant plus désert que le vent qui soufflait ne laissait que peu de place au plaisir de la contemplation. Du coup, retour en ville et visite rapide de la zone d’Antigone. La place du millénaire est un mélange de constructions monumentales de style néo-gréco-romain et de petits marchés et restaurants qui manifestement lui donnent vie. Une place de Sparte avec une école maternelle Périclès. Un mélange réussi de mise en place d’un gros œuvre monumental et d’une volonté de le laisser occuper par le peuple de base. Même de là le vent nous a chassés, d’autant que ma démarche de plus en plus lente commençait à mettre Simone mal à l’aise. Sacré Frêche quand même qui, me semble-t-il, a utilisé ses compétences et appétences historiques pour infliger à la masse des petits et gros imbéciles qui peuplent nos contrées un « merde » authentiquement monumental.
Voilà les choses. Nous sommes sur la bifurcation. Elle est presque rectiligne et aurait presque tendance à rendre flou le souvenir de la trajectoire qui me paraissait si importante à assumer que rien ne semblait pouvoir m’en détourner. C’est fait. Je n’y suis plus. Seul internet continue à me relier un peu au monde qui me structure en général. Mais les arbres à tailler, l’olivier à planter, les olives à cueillir, les racines de bambous à poursuivre, le vin à débourber, les rames des jardins à enlever avant de labourer et de fumer, tout cela constitue un monde que je visite en esprit régulièrement mais qui ne mobilise en moi aucune émotion particulière. Ce n’est même pas quelque chose du style « tant pis, on verra plus tard », c’est juste un monde irréel à la limite de l’onirique, affectivement proche, envisagé avec beaucoup de sympathie mais sans aucun regret. La bifurcation est en marche et très probablement ce psy qui m’intéresse tant dans ses diverses manifestations a-t-il trouvé là un subterfuge pour laisser se concentrer mes moyens psychosomatiques à rassembler toutes les ressources contre la saloperie qui s’est installée dans le fond de mes entrailles. Et tout compte fait, je le soupçonne même d’avoir inventé ce concept même de bifurcation à cet effet.
Le pire, c’est que même mon affectivité est modifiée. Accoutumé à prendre régulièrement en charge les amis ou autres en difficulté, je me découvre, non pas insensible totalement, mais sans intérêt pour leurs malheurs. En ce moment, l’épouse d’un ami de jeunesse très proche, donc amie elle -même depuis plus de 50 ans, se bat avec un cancer du pancréas, et cela dans de mauvaises conditions. Elle appelle régulièrement pour donner de ses nouvelles comme elle l’a eu fait souvent en d’autres circonstances comptant sur une réaction de ma part qui lui viendrait en aide. Eh bien je ne veux pas savoir. Simone répond au téléphone, laisse le haut-parleur qui me permet d’entendre ; et même cela je voudrais le fuir. C’est dire qu’il y a là en jeu un puissant système de protection avec d’une part un système de filtre d’affect qui ne laisse passer de l’information que l’essentiel dédramatisé, mais avec d’autre part une baisse concomitante du tonus affectif de commisération. Et ceci est l’exemple le plus violent du phénomène. Autant dire que les intempéries, les destructions, les massacres, les guerres, les maladies, les problèmes de couple des uns et des autres, me laissent complètement indifférent. Simone, qui me connaît bien, en est même à s’alarmer de ces nouveautés. Mais elle les attribue à l’ensemble des agressions internes et externes que je subis et ne me juge pas.
Un autre élément pas encore souligné de la bifurcation, c’est celui du lieu géographique : non seulement l’environnement habituel est devenu subsidiaire dans son intérêt mais en plus il faut se délocaliser ; chassé de chez soi par les nécessités du traitement, nous voilà réduits (je dis nous car Simone est embarquée complètement dans le bateau) à vivre à l’hôtel quand ce n’est pas pour moi dans une chambre close. Nous qui vivons le plus clair de notre vie dehors, nous voilà reclus entre quatre murs que nus ne quittons que pour aller nous enfermer dans des locaux encore moins « hospitaliers » (si je puis dire, car hospitaliers ils le sont mais autrement). Et quand les escapades nécessaires nous entraînent sur les chemins du souvenir, c’est moi qui, à la vitesse ralentie par l’anémie qui progresse, deviens un élément objectif de ré-enfermement.
Ça en fait des choses non ?
27 novembre
Les jours se suivent et, fort heureusement, ne se ressemblent pas forcément. Je reviens au clavier après presque 3 jours de diète « poisonnière » et radiothérapique. Et évidemment ça va mieux. D’autant que je suis à Sirach et que je me fais chouchouter par une Simone plus présente que jamais. Je me suis surtout traîné hier, y compris en allant à Prades pour essayer de voir la permanence de la mutuelle. Pas de bol, elle est fermée le samedi. Et quand je dis que je suis allé à Prades c’est bien sûr en voiture. Ce fut surtout du repos. Des visites d’amis : Raymond qui a apporté des kakis pommes, Régine qui a passé un grand moment de chaude amitié avec nous. Au milieu il y eut Hevé qui nous a parlé sans désemparer de la seule chose qui l’intéresse : lui. Mais bon, on a fait avec. Un petit regret de n’avoir pas pu parler avec Raymond, surtout politique. Il est friand de ces échanges qu’il ne peut avoir qu’avec moi. Ça nous fait un lien de plus et ce n’est pas rien.
On a fait du fass’taïm avec les parisiens. Les filles faisaient des boules pour décorer le sapin. Ce sont de vraies perles et elles reçoivent une éducation de très haute qualité. Il y a avait même la troisième, Chiara, qui joue chez eux le rôle que joua chez Pierrick. Les chiens ne font pas des chats. Et si je le mentionne, c’est que parmi les satisfactions auxquelles j’attache de plus en plus d’importance (situation actuelle aidant…) il y a celles que me procurent ces jugements de valeur que je m’autorise in petto mais qui me donnent de belles bouffées d’endorphines.
Aujourd’hui deux choses à souligner : un éclair de génie ce matin et la saint clément cet après-midi.
Pour l’éclair de génie, rien a voir avec le Euréka d’Archimède ou la pomme de Newton. C’est un génie comme celui de la lampe d’Aladin qui m’a dit, alors que je revenais du casot ranger j en sais plus quoi, « je pense que le cancer est mort ». Il ne m’en a pas dit plus, a disparu dans les limbes de mon psy. Mais l’information m’a bien plu.
Pour la Saint-Clément, bien sûr je n’y suis pas allé mais Simone est revenue complètement bouleversée par les témoignages d’amitié unanimes dont elle a fait l’objet à mon égard. Je n’en dis pas plus car je serais surpris que Monsieur Son Blog n’en soit pas le confident. Et elle m’a ramené une double part du gâteau préparée par Suzanne et Martine. Bref une Saint-Clément réussie même de loin pour moi. Et même ce soir un courriel de Régine qui signe la pétition pour les cheminots.
J’ai profité de la journée pour revenir vers les gens du RSI pour essayer de récupérer 4 sous du voyage.
Voilà. Demain, c’est retour à Montpellier pour une semaine de prison suivie de la dernière semaine en externe. Louis m’accompagne.
1er décembre
Ça se tire ; la semaine touche à sa fin et dès demain je retrouverai, avec ma doudou, l’air libre. Il fait soleil dehors et cependant il paraît qu’il fait froid. En tout cas dans la chambre, je me pèle. Je suis couvert comme un pot de miel et malgré ça je frissonne. Je sais d’où ça vient mais quand même. Mon compagnon à roulettes de tous les instants est là pour me le rappeler si par hasard j’avais tendance à l’oublier. Finalement on s’habitue à tout. J’ai passé une semaine désagréable à cause de l’enfermement, des traitements qui me perturbent mais comparée à la première semaine, cest relativement mieux. J’ai gardé un bon transit, je viens de passer 24 heures sans alpha bloquants et ça va. Autres particularité, semaine sans iPhone. J’ai réussi le tour de force d’oublier le câble du chargeur. Eh bien finalement je l’en suis bien passé. J’ai fait ouvrir une ligne uniquement pour recevoir ce qui fait que j’ai eu régulièrement Simone et Bérenger. Et ça m’a suffi.
J’avais l’intention de faire une petite digression sur la manière dont passe le temps, avec cette expérience particulière d’un temps où on ne fait rien. Ouvrir les yeux, végéter, refermer les yeux, se lever pour pisser toutes les demi-heures, voir arriver à heures fixes des plateaux repas, les renifler avec dégoût, en grignoter une partie. Et puis à nouveau fermer les yeux, végéter. Les ruptures de rythme ce sont les séances de radiothérapie. Couloir, ascenseur, re-couloir, assis salle d’attente, séance et retour. Juste de quoi noter que chaque jour d’est plus fatigant. Imagine ce que je dis : fatigant ! Un maximum de 50 m de couloir dans les deux sens. Et au retour bien sûr, re-couché, re yeux fermés … l’extraordinaire, c’est qu’il passe quand même. Tu veux, tu veux pas, le temps passe. Tu en fais quelque chose ou rien, tu bouges ou pas, le temps et donc le monde continuent à vivre et à passer comme si de rien n’était. On a beau le savoir depuis les romantiques, c’est pas demain la veille qu’il suspendra son cours. Ça fait un peu langueur monotone. Et en fait c’est ça. Le spleen des Baudelaire, Rimbaud et compagnie. Bon, je déconne et j’arrête. J’y reviendrai dans d’autres conditions. Je voulais ouvrir la réflexion.