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C’est beau l’Écosse. Retour de notre voyage depuis hier et cette impression extrêmement agréable ressentie dans tous les compartiments du jeu.

D’abord la raison subite de ce voyage rapidement décidé et quasiment improvisé par Gaudérique après l’annonce de mes ennuis de santé actuels. Ensuite l’organisation elle-même confiée « naturellement » à Nelly, organisation sans faille et avec chaque fois que cela fut nécessaire la capacité d’adaptation et de décision adéquate. Et puis évidemment l’Écosse. On en rêvait, on l’a fait. Des châteaux perdus au milieu d’une lande vallonnée voire semi-montagneuse, des étendues d’eau majestueuses tant sur les bords du territoire que dans les diverses vallées traversées. Des lochs, cela s’appelle. Partout et toujours de l’eau, de l’eau, de l’eau. Au bord de l’océan le petit port d’Oban, comme une carte postale animée sous le soleil avec ses bateaux, ses docks, ses quais, ses marchands de « fish and chips » dans des stands pas plus grands qu’une baraque à frites. La distillerie d’Oban, une des plus imposantes du pays, distillerie de scotch whisky, à ne pas confondre avec whiskey états-unien voire même whisky tout court pas scotch. Gaudérique nous en fait  goûter un  avec un goût de tourbe un peu trop prononcé. Port-William ensuite avec la petite déception au vu de l’hôtel classique, très bien par ailleurs, mais si quelconque après la première nuit dans la demeure de Sir Alexander Walker, petit-fils de Johnnie : un cottage de rêve avec autour du gazon comme on n’en fait pas, même dans les plus représentatifs des dessins animés. Une herbe d’un vert uniforme, tondue à la perfection, sans un brin qui dépasse et cela sur une bonne dizaine d’ares. Mais Port-William est relativement central par rapport au programme et à l’extrémité du canal de Calédonie qui, de canaux en lochs, fait le lien entre l’Atlantique et la mer du Nord. On y boira quand même de la bonne bière dans un pub. Et on y rencontrera, dans un restaurant de poisson, notre député Fernand Siré, mon condisciple du lycée à la fac. Le monde est décidément petit. Et puis ce furent les Highlands, interminablement vallonnés et dépourvus de population et même de bétail. Un petite déception : je rêvais de Highlnds verts, ils furent jaunes dans cet automne avancé. Les lochs, dont le célèbre Loch Ness, les châteaux souvent en ruines après le passage des Anglais, mais toujours dans des paysages où la lumière de l’automne donnait à ces ensembles de nature et de culture les couleurs d’un tableau romantique. Et puis il y eu la rencontre avec les ancêtres, ou plutôt avec  leurs tombeaux grandioses, entassements de gros galets blancs que l’on appelle ici des cairns, alignés comme au cordeau dans une campagne pour le coup verte à perte de vue, avec des pierres dressées pour repères et des moutons à tête noire pour résidents permanents.

Enfin la grande ville, gros village aggloméré de maisons gigantesques, d’avenues qui sont en fait des ponts jetés sur des renfoncements de terrain, le tout centré sur le double cône d’un volcan entouré d’une pelouse (des hectares cette fois) au haut duquel trône le château. Du château, la rue Royale descend en droite ligne vers le palais où la reine vient faire sa semaine écossaise tous les printemps. De ci de là, en cette fin de semaine, on croise sur les trottoirs des personnages vêtus du kilt traditionnel, tellement magnifiques dans ce vêtement inhabituel à nos yeux qu’ils en ont presque l’allure hiératique. De tout un peu quoi ; quelques mendiants quand même, des pubs où on n’accepte pas les enfants, des ruelles transversales de la largeur d’un couloir, chacune débouchant sur une cour ou une autre rue, des vitrines où trône tout en long un cochon rôti dont la viande émiettée r se déguste entre deux tranches de pian de mie, et au bout le palais qui fait face au parlement, édifice bizarre et rien moins que majestueux.

On ne pouvait pas quitter l’Écosse sans goûter le haggis, rendu célèbre par Jacques Bodoin. Il nous fut servi, (nous ne l’avons su qu’après) par une catalane de Bagur. En tout cas c’est très bon, très goûteux, et même Nelly a aimé ce plat à base d’abats de mouton, c’est dire !

Simone fera de tout cela un compte rendu plus détaillé, elle qui a pris de notes à la fin de chaque journée. Je reste sur les impressions.

Et j’ai gardé la dernière pour la fin car il me semble qu’au bout du compte, c’est la meilleure. : un Gaudérique attentionné à mon égard comme jamais, et une Nelly dépouillée de cette carapace qui nous faisait toujours craindre une difficulté de relation, une Nelly fille de la famille, et pas mal à l’aise de l’être. Quant aux garçons, l’un taiseux comme à son ordinaire, l’autre agité comme toujours, chacun exprimant son caractère et ses pulsions de façon naturelle, ceci me rassurant sur le risque que les autres comportements ne soient dictés que par mon nouvel état. Non, de l’affection, voire  l’amour filial, de part et d’autre. Et ce n’est pas rien.

 

Reste quand même à la suite de cette réalisation d’un projet lointain et même probablement pas vraiment imaginé comme possible, la question des projets dans le devenir, alors que la santé est obérée par une nouveauté dangereuse.

L’âge nous est apparu comme déterminant un changement dans le vécu du temps (psychosomatique). On passe un jour du temps qui passe au temps qui reste. Qu’en est-il alors des projets. Tant que le temps passe tranquillement, parfois lentement (il me tarde… vivement…), parfois trop vite (et plus le temps passe, plus il paraît passer vite), l’avenir psychologique est peuplé de projets. Le devenir est pensé comme une suite de situations imaginées, rêvées, souvent programmées à court ou à long terme. Ainsi peut-on vivre sans trop de problème existentiel comme si l’on était immortel. Le terme étant lointain, sa survenue étant exclusive de la vie, on peut (et on doit d‘ailleurs) bâtir des projets qui tiennent lieu d’avenir dans le présent. Si vivre c’est devenir, alors le présent est plein d’avenir, fantasmé sous forme de projets. Et ces projets peuvent être totalement irréalisables, leur accumulation permanente peut être déraisonnable à l’examen attentif, leur réalité en tant que projets constitue une des manifestations de l’existence au monde. Je suis parce que je deviens, et je cherche à donner à ce devenir une forme qui me convienne.

Le projet ainsi défini a quelque chose à voir avec le réflexe d’investigation.  Nous avons par ailleurs évoqué ce comportement qui, dès les premiers contacts avec le monde réel, nous pousse à chercher à voir et à connaître les choses qui sont derrière les choses. C’est ainsi que le bébé rampe, puis se met à 4 pattes, toujours en levant la tête pour horizontaliser son regard, enfin, pour libérer ces autres modes de connaissance que sont le « toucher » et le « prendre » et pouvoir en utiliser l’outil, il se met sur deux pattes pour pouvoir se servir de ses mains. Passer de la volonté de connaître les choses qui sont derrière les choses à celle de vouloir connaître les situations qui sont derrière les situations, ne constitue qu’un pas facile à franchir. Sauf que, pour savoir ce qui va advenir à partir de ce qui est, il faut être « voyant ». Il en est d’ailleurs qui font leur fortune à faire ce métier pour répondre au désir d’investigation des autres dans l’immatériel de l’avenir. 

L’humaine condition trouve là une limite à ses possibilités d’investigation. Elle a fort heureusement le moyen de contourner la difficulté grâce à sa capacité d’imagination. Cette capacité consiste à assembler divers reflets actuels et anciens mémorisés de la réalité pour créer un nouvel ensemble composite, une nouvelle réalité, virtuelle celle-là, au niveau de la conscience. C’est cette capacité qui est à la base de la créativité, sans limite dans le temps et dans l’espace. Elle est même à la base d’une certaine prédictivité et donc d’une relative connaissance de l’avenir, dans la météo par exemple, ou dans la trajectoire d’un objet céleste. Mais cela reste statistique et donc soumis à un calcul de probabilités. Quand je veux imaginer mon avenir pour moi, je n’ai pas envie de le faire « à l’erreur près ». Et même si je sais que mes prévisions sont soumises à trop d’aléas pour être absolument certaines, j’ai besoin de faire comme si, quitte à rectifier en marchant. Je fais aujourd’hui des projets qui me tiennent lieu d’anticipation de ce que sera ma vie  demain. Aujourd’hui, en cet instant du temps, c’est pour moi une réalité et j’en ai besoin, même si je sais que dans l’instant du temps suivant, elle peut être remise en cause.

Ainsi est le projet. Ainsi est la conscience du devenir programmé dans ce que l’on appelle un projet. Mais le projet est évolutif. Le simple fait qu’il soit dans la conscience au moment où on le pense, le projet, comme partie intégrante du présent psychosomatique est nécessairement en perpétuelle évolution. À chaque apparition au niveau conscient, il intègre les données nouvelles issues de la période de vie écoulée depuis la dernière fois que l’on y a pensé. Et ces données nouvelles, même si elles sont de peu d’influence, ou plutôt d’une influence marginale sur le projet initial, sont susceptibles de le modifier profondément.

Du coup, si dans l’intervalle de temps ci-dessus évoqué, une circonstance nouvelle apparaît à la conscience comme contradictoire à l’élaboration du projet, celui-ci peut être repoussé dans le temps voire purement et simplement abandonné. Et ce n’est pas grave sauf situation extraordinaire d’un projet qui aurait à voir avec la survie.  Il réapparaîtra sans difficulté et sans qu’aucun dol profond ne soit repérable. Abandonner un projet dans le système du psy ne consiste qu’à passer à une autre idée, une autre construction mentale, un autre rêve ou une autre préoccupation. Et j’inclus dans cette formule l’envie de vider sa vessie au moment où, trop pleine, elle impose à la conscience de prendre les mesures adéquates pour régler le problème. Car, combien de fois, en revenant de faire son pipi, on se demande « où en étais-je ? », c’est-à-dire que reste-t-il dans mon espace psy comme trace de ce qui l’occupait quelques instants auparavant.

Dans la période infinie qui fait futur, il y a place pour une foule incalculable de projets concomitants, que l’on ait ou non déjà programmé leur succession dans le temps. Et dans ce contexte entre le projet finalisé et le simple rêve il n’y a qu’une différence infinitésimale, car leur caractère réalisable ou irréalisable sera au final déterminé au dernier moment, après que toutes les circonstances éventuellement contraires auront été purgées.

Dans la situation du temps qui reste, une limite imprécise se dessine déjà et obère d’emblée un certain nombre de projets rejetés d’emblée dans le rêve. Le temps qui reste constitue déjà un obstacle à la mise en place de certains projets manifestement trop lointains. Je me souviens de ma réaction au moment de signer un contrat de bail rural pour les vignes de Saint-Paul. Sa première échéance intervient au delà de mes 80 ans. Il se peut que j’y sois encore. Mais le simple fait de se poser la question montre que la question se pose. J’ai balayé la chose en me disant que mes héritiers feront avec et que ce ne sera pas un problème.

Maintenant si, dans le cadre du temps qui reste survient un événement susceptible de donner au temps qui reste, non pas une vague limite, essentiellement constituée dans le psy par la perspective naturelle de la mort, mais une limite plus précise, plus vraisemblable, comme un accident de la vie, ou la survenue d’une maladie potentiellement mortelle, la fabrication mentale de  projets se heurte immédiatement à cette limite nouvelle. On n’est plus dans la dimension raisonnable liée à l’âge et de toute manière fondamentalement, essentiellement imprécise. On est au pied de ce qui apparaît comme un mur. « Touché mais pas coulé » est la formule que j’ai employée pour qualifier ma situation actuelle. Mais touché sûrement, et de manière significative, et sans que l’étendue des dégâts puisse être réellement évaluée ni que les échéances puissent être fixées.

Et du coup, dans le présent nouvellement réorganisé, le projet devient impossible. La construction mentale qui aboutit à cette forme d’anticipation se heurte immédiatement à ce mur impalpable. La seule solution pour continuer à rêver est d’ajouter des « si ». Seul le futur proche peut trouver place dans le présent. Tout le reste bascule dans le rêve que même la virtualité de la construction imaginaire ne  permet même pas de dénommer projet.

 

 

 

 

 

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