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Naissance

une biographie, ça commence évidemment par une naissance. Celle de mon père eut lieu le 9 aout 1915. C’est dire que la conception (c’est comme cela que l’on qualifie le rapport fécondant) avait du se situer aux alentours de la Toussaint 1914. De cette circonstance évidemment nous ne savons rien. Ce qui est sûr c’est que le mariage eut lieu assez peu de temps avant, et par procuration. car en 1915, c’était la guerre. Et le Sébastien Tourné qui fut le géniteur d’André était alors dans les tranchées de la Somme, respirant à pleins poumons les gaz toxiques que distribuaient généreusement les allemands d’en face.

Je dis le Sébastien Tourné, non par dérision mais parce que dans cette famille, et aussi loin que l’on remonte dans la généalogie, on s’appelle Sébastien, et même Sébastien Joseph auquel on ajoute un troisième prénom. Ainsi de mon père André Sébastien Joseph, ses frères ainés s’appelant Augustin Sébastien Joseph (Tétin) et Sébastien Joseph Augustin, son cadet Michel Sébastien Joseph. Et cette circonstance a bien compliqué les recherches de l’ami généalogiste qui m’a aidé reconstituer l’arbre dont mes petits enfants sont les rameaux actuellement ultimes. Quant aux filles, c’était Anne-Marie, mais il n’y en avait qu’une par génération.

Bref, cette conception fut le résultat d’un rapprochement probablement aidé par les circonstances de la guerre et l’imminence du départ au front duquel on commençait, à l’automne 1914, à constater que l’on ne revenait souvent pas, ou alors en petits morceaux. Il en va ainsi de toutes les guerres dites patriotiques. Les jeunes gens mobilisés partent la fleur au fusil, persuadés qu’ils seront de retour après quelques semaines d’une promenade de santé . Et après quelques mois, les annonces de « mort pour la France » se succèdent, et ceux qui partent savent déjà bien qu’ils ont assez peu de chances de revenir intacts. Ainsi de celui qui sera mon grand père.

Veuf, il avait alors deux garçons et avait embauché pour tenir sa maison une fille de la montagne, très propre sur elle, Anna, qui préservait farouchement son quant à soi. Ce n’est pas qu’il n’eut tenté à plusieurs reprises de la séduire (au sens trivial du passage à l’acte), mais elle résistait et rien n’y faisait. Même le mariage ne la tentait pas. Du reste, je l’ai toujours entendue dire à ce propos : « je me suis mariée à 29 ans et j’aurais mieux fait d’attendre 29 ans de plus ».

Mais là, les choses se firent. Ce ne fut pas la visite d’un ange. Inutile de chercher à imaginer. Alors je propose, pour cette circonstance incontournable d’une biographie bien comprise, ce que m’en a soufflé la muse qui me visite de temps en temps sous le titre Annonciation :

« J’aurai demain trente ans, ce n’est pas à mon âge

Que l’on cède au désir et comme un corps volage

Que l’on se donne…à qui d’ailleurs et pourquoi donc ? »

A son désir puissant elle a dit non et non ;

Mais il a pris son pucelage.

L’ordre était arrivé ; le cœur lourd, plein de rage,

Le lendemain matin avec son paquetage

Il partait dans le train qui l’emmenait au front.

Elle restait, avec au corps comme un affront

Et au ventre comme un outrage.

C’était un temps maudit pour le monde. Et l’orage

Menaçait l’univers de mort et de saccage

Les villes et les champs, les plaines et les monts.

Les sages le cédaient devant les rodomonts

Et les fous menaient grand tapage

Désormais seule, avec comme unique apanage

Le souvenir de ses montagnes, des alpages

Où jeune elle menait les troupeaux de moutons

Fille fière et têtue, vêtue de pantalons

La première dans ces parages.

Mais un destin veillait. Voyageur sans bagage,

L’avenir se frayait un chemin sans ambage.

Ses flancs avaient été subitement féconds.

Ils devenait plus larges, ils devenaient plus ronds

Ses seins plus lourds dans le corsage.

Les yeux au bord des pleurs, le moral à l’étiage,

Sans appui, sans amour dans ce plat paysage,

En cet hiver trop doux, sans le moindre flocon

Pour blanchir un Noël, pour couvrir un balcon

Muette elle vaque à l’ouvrage

Elle maudit l’enfant qui verrouille sa cage.

Mais une étrange voix lui dit : « tourne la page

Redresse-toi, fais face à tous ces maquignons.

Ton bébé sera beau, ses yeux seront mignons

Il te revaudra de ton courage»

L’Ange qui parle ainsi, le porteur de message

Qui susurre un espoir à la fille trop sage

Qui un jour a dit oui, sans plaisir ni passion,

Est-ce ainsi qu’à Marie il fit l’Annonciation

Du nouveau messie de passage ?

Cependant, il n’était évidemment pas question pour elle de devenir mère alors même qu’un homme identifié était passé par là. Prévenu au fin fond des tranchées de ce qui se tramait à l’arrière, Sébastien écrivit, au crayon, une carte postale reconnaissant sa responsabilité dans la grossesse et exprimant sa volonté d’épouser la maman. Ainsi fut fait. Mais en l’absence du promis (à cette époque toujours susceptible de n’être plus du jour au lendemain), Anna Mariette épousa une carte postale et devint ainsi Anna Tourné.

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